Marianne:
Alors qu'Éric Zemmour sature l'espace médiatique, Malika Sorel-Sutter, ancienne membre du Haut conseil à l'intégration, relève que deux points de son livre ne sont étrangement pas évoqués : sa défense de Dominique Strauss-Kahn et de Tariq Ramadan.
Comment expliquer l’attitude des médias qui n’ont pipé mot concernant des passages extrêmement graves du dernier livre d’Éric Zemmour. Qui ne dit mot, consent ? C’est ce vieil adage qui vient à l’esprit lorsqu’on observe les opérations de promotion et de marketing dont il est gratifié, lui permettant de cannibaliser le débat public.
Pourtant, dans son livre, Éric Zemmour va jusqu'à relativiser la gravité des accusations de viol portées contre Dominique Strauss-Kahn par Nafissatou Diallo à New York, en mai 2011. Pour rappel, sept chefs d’accusation avaient été retenus contre ce dernier : acte sexuel criminel au premier degré (deux chefs d’accusation), tentative de viol au premier degré, abus sexuel au premier degré, séquestration au second degré, agression sexuelle au troisième degré et attouchement sexuel. Tandis qu’il relate son déjeuner avec Jean-Christophe Cambadélis, Éric Zemmour en vient à réduire cet acte ignoble à une « ridicule affaire ancillaire », faisant au passage le parallèle avec « Karl Marx qui avait, lui, engrossé la bonne ».
Eh oui, Nafissatou Diallo n’est qu’une simple femme de ménage. À la minimisation du caractère horrible de l’acte vient s’ajouter le mépris de classe qui avait cours chez les élites de l’Ancien Régime qui se servaient, sans vergogne ni l’once d’un respect, chez les soubrettes. Dans l’accusation portée contre l’ancien patron du Fonds monétaire international, Éric Zemmour dit voir « la confirmation de cette “féminisation de la société” » contre laquelle il dit s’être élevé dans un de ses livres (Le premier sexe). Et pour Éric Zemmour, « DSK, menottes derrière le dos entre deux cops new-yorkais, marchant tête baissée, c’est un renversement de mille ans de culture royale et patriarcale française. C’est une castration de tous les hommes français » !
« Quelle différence avec l’infériorisation et la chosification des femmes que l’on retrouve sous d’autres cieux ? »
Quelle différence avec l’infériorisation et la chosification des femmes que l’on retrouve sous d’autres cieux, par exemple chez une partie des hommes en Inde dont la presse répercute régulièrement les agressions sexuelles, ou encore chez une partie de ceux qui se réclament de la pratique fondamentaliste de l’islam ? Aucune. La condition faite aux femmes et le respect qui leur est dû sont des problématiques essentielles qui intéressent l'opinion publique et méritent d’être versées au débat.
Dans son livre, Éric Zemmour se dit aussi convaincu que le prédicateur Tariq Ramadan « a été piégé » dans l’affaire des viols dont il a été accusé puis mis en examen. Tariq Ramadan, petit-fils du fondateur de la confrérie des Frères musulmans, est celui-là même qui avait appelé à un moratoire sur la lapidation des femmes, lors d’un débat qui l’opposait à Nicolas Sarkozy sur France 2. Un moratoire. Nous voilà rassurés. Tariq Ramadan n’est pas n’importe qui. Pendant de longues années, il a prêché dans les banlieues de l’immigration musulmane.
C’est aussi lui qu'a couvert de louanges le Cheikh Youssef Al-Qaradawi, prédicateur Frère musulman de la chaîne qatarie Al-Jazira dont les prêches ont joué un rôle important dans la radicalisation d'une partie des populations musulmanes à travers le monde, y compris des diasporas, ainsi que dans la déstabilisation du monde arabo-musulman. Nous en subissons les répercussions et en payons les conséquences ici, dans les sociétés occidentales. Il suffit de lire Mohamed Louizi ou Gilles Kepel pour comprendre à quel point l’idéologie propagée imprime sa marque dans les sujets d'intégration et d'assimilation qui semblent préoccuper Éric Zemmour, ce qu’il ne peut évidemment ignorer.
Éric Zemmour verse de grosses larmes : « J’ai eu un choc lorsque j’ai aperçu Ramadan sur mon écran de télévision, à sa sortie de prison, les cheveux blanchis, la mine défaite, la voix cassée d’un vieillard. » Il avoue avoir eu « honte pour Bourdin (BFMTV) » et avoir « à cet instant pris en pitié sa victime ». En décembre 2018, le Journal du Dimanche révélait l’existence de chaleureux messages échangés entre Éric Zemmour et Tariq Ramadan. Peut-on croire à l’expression d’une simple « cordialité orientale », pour reprendre l’explication d’Éric Zemmour, cordialité qui amène les messages à se conclure par des « Amitiés. Embrassade » ? Troublant, n’est-ce pas ?
Tribune publiée dans Marianne.