La France va bien. Elle va même très bien ! Ses perspectives de croissance, liées à son entrée dans la société de la connaissance, sont époustouflantes. La démocratisation de l’enseignement s’est en effet révélée réelle, et non factice. La confiance entre les politiques et les citoyens a été pleinement restaurée car les Français ont pu voir, dans leur vie quotidienne, la traduction concrète de la compétence et de l’esprit visionnaire de leur classe dirigeante. Le niveau de confiance est tel que les Français se sont remis à faire des enfants, y compris les femmes diplômées de l’enseignement supérieur (une sur cinq n’enfantait pas).
La France va si bien que ses ministres se sont retrouvés en situation de se « rouler les pouces ». Il était donc naturel de veiller à leur trouver d’urgence de nouvelles occupations, afin que leur science infuse soit pleinement mise au service des Français. C’est pour cette raison qu’une majorité d’entre eux se sont engagés dans les élections régionales. Il eût été véritablement criminel de priver nos régions de leurs compétences, alors qu’ils possèdent de surcroît la capacité de se démultiplier.
Dans la catégorie « surdoués du service de l’intérêt général », nous retrouvons :
Benoist Apparu, secrétaire d’État au Logement, adjoint au maire de Châlons-en-Champagne, vice-président d’agglomération de Châlons-en-Champagne ;
Nora Berra, secrétaire d’État aux Aînés, conseillère municipale de Lyon ;
Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux Transports, président du Conseil général de Charente-Maritime ;
Luc Chatel, ministre de l’Éducation nationale, maire de Chaumont, porte-parole du gouvernement ;
Xavier Darcos, ministre du Travail ;
Hubert Falco, secrétaire d’État à la Défense et aux anciens combattants, maire de Toulon, président de la communauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée ;
Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur ;
Chantal Jouanno, secrétaire d’État à l’Écologie ;
Alain Joyandet, secrétaire d’État à la Coopération, maire de Vesoul ;
Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État à l’Économie numérique, maire de Longjumeau ;
Valérie Létard, secrétaire d’État en charge des Technologies vertes et des négociations sur le climat, présidente de la communauté d’agglomération de Valenciennes Métropole, première adjointe au maire de Valenciennes ;
Bruno Le Maire, ministre de l’Agriculture, conseiller municipal d’Évreux ;
Alain Marleix, secrétaire d’État aux Collectivités ;
Nadine Morano, secrétaire d’État à la Famille ;
Hervé Morin, ministre de la Défense, maire d’Épaignes, président de la communauté de communes du canton de Cormeilles ;
Hervé Novelli, secrétaire d’État au Commerce, maire de Richelieu en 2008, conseiller régional d’Indre-et-Loire ;
Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur ;
Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’Outre-mer ;
Henri de Raincourt, ministre chargé des Relations avec le Parlement ;
Rama Yade, secrétaire d’État aux Sports, conseillère municipale de Colombes.
Cette liste des responsabilités qu’ils sont censés assumer est probablement incomplète.
La situation n’est pas nouvelle puisque, comme le rappelle le Figaro, la moitié des membres du gouvernement étaient déjà activement engagés dans les élections régionales de 2004.
D’aucuns pourraient penser que ce grave problème du cumul des fonctions, véritable cancer qui ronge notre démocratie, ne concerne en rien la réflexion que je mène autour du problème de l’intégration, et pourtant ! Je vérifie en effet, chaque jour davantage, la justesse de ce que j’avais écrit à ce sujet dans Le puzzle de l’intégration :
« L’accumulation de fonctions et d’honneurs ne laisse plus à nos élus le temps de réfléchir à ce pourquoi nous les avons élus. C’est la raison pour laquelle ils vont chercher dans d’autres pays des recettes ou du “prêt à poser”, souvent sans même se demander si elles sont compatibles avec l’héritage culturel et social des Français. Rares sont les citoyens qui croient qu’il puisse être possible, vu la complexité des sujets à traiter, à une seule et même personne d’assumer de manière satisfaisante plusieurs responsabilités simultanément. De plus, une trop grande concentration des pouvoirs entre les mains de trop peu de gens les rend superpuissants, de cette superpuissance qui fait peur, lie les langues et fait grossir les rangs des courtisans.
La solution ? Répartir ce pouvoir entre davantage de mains, et surtout limiter son exercice dans le temps ; car on agit avec une plus grande liberté d’esprit et d’action si l’on sait que l’homme ou la femme politique qui est en face s’y trouve pour une durée déterminée, et non pas indéfinie. On ne peut agir librement lorsque l’on se sait condamné à rencontrer les mêmes personnalités dans toutes les structures du pouvoir. Il faut donc limiter le nombre des mandats, ainsi que celui des fonctions et même des mandats honorifiques. Ces emplois sont loin d’être anodins. Ils verrouillent en réalité toute possibilité d’évolution sociale pour un plus grand nombre. C’est vrai dans le monde politique, ça l’est également dans le monde de l’entreprise où on observe la même concentration des pouvoirs.
Chacun sait qu’une eau qui n’est pas animée d’un courant finit par stagner. Ce courant, il faut le créer en libérant des postes, permettant ainsi d’accueillir autant de nouvelles intelligences venues d’horizons professionnels diversifiés. C’est l’émergence de ces nouvelles catégories de personnalités qui apportera le sang neuf nécessaire à toute classe politique.
Je n’insinue nullement qu’il faille remplacer l’ensemble de notre classe politique ; cela nous causerait de graves perturbations. C’est l’erreur que les entreprises ont commise en laissant partir ceux qui y détenaient la maturité et l’expérience, qualités indispensables à toute équipe qui souhaite réussir. Je dis simplement qu’apporter de manière naturelle et continue de nouvelles forces à une équipe, la rend plus efficace. Nous devons, dans le même temps, faire preuve de la plus grande exigence quant à la qualité de ceux qui seront appelés à décider de la voie à emprunter pour relever les défis qui se posent à nous. Dans un monde qui devient chaque jour plus complexe, il ne suffit plus de savoir s’entourer de quelques spécialistes ; il faut être soi-même sage et compétent. »
N’avons-nous pas, nous citoyens, une part de responsabilité dans la Bérézina de la France ? Les Français ne sont-ils pas victimes du syndrôme du « vu à la télé », qui les pousse à voter surtout pour des têtes qu’ils ont justement vues à la télé ? Ne sont-ils pas intéressés à élire des personnalités qui ont leurs entrées dans les hauts lieux du pouvoir, afin de privilégier l’avancement de dossiers locaux ? C’est ainsi que depuis de très nombreuses années, la défense des intérêts locaux a pris le pas sur la défense de l’intérêt national.