Voici transcrite pour vous mon intervention à l’université d’été du Medef. Ne manque ici, par rapport au prononcé, que le passage dans lequel j’évoquais l’intervention supposée des Américains dans l’alimentation des rumeurs contre des banques européennes, et notre échec, contre toute attente, dans l’appel d’offres sur les ravitailleurs en vol. J’avais choisi ces exemples pour illustrer le fait que le monde ne se transformera pas en village planétaire. Le comportement des Américains n’est pas surprenant. Nous pourrions trouver une multitude d’autres exemples, y compris dans les questions d’immigration, pour comprendre que le problème n’est pas que certains puissent tirer la couverture à eux, mais bien que les dirigeants européens contribuent à découvrir et mettre à nu leurs propres peuples.
« Je vais bien modestement tenter d’évoquer devant vous quelques éléments qui me semblent centraux et qui sont trop souvent perdus de vue.
Tout pacte social est indissociable de l’existence préalable d’un pacte moral qui constitue son socle. Le pacte moral, je souhaite le rappeler, c’est un ensemble de principes et de valeurs qui ont été sculptés par l’histoire, qui lient les individus entre eux et qui en font un corps politique. C’est l’exemple des peuples. C’est au sein des familles que les lignes de force de ce pacte moral sont transmises aux nouvelles générations.
Les peuples, nous le savons, sont le produit de l’histoire et ils possèdent une mémoire. Chaque jour, les crises qui secouent notre planète nous en apportent la démonstration. Ne nous leurrons pas, et ce serait une erreur, le monde, malheureusement, ne se transformera pas en un village planétaire où tout le monde se fera des sourires, des bisous et partagera son bol de soupe. Je veux rappeler ici, et c’est l’Histoire qui nous l’enseigne, que l’adhésion au principe de solidarité ne peut être durablement obtenue que dans la situation où, à partir d’une multiplicité, un corps unique vient à se constituer. C’est encore une fois le cas des peuples.
Parler de pacte social sous-entend que nous sommes en présence de plusieurs acteurs qui ont scellé un accord. Aucun pacte ne peut perdurer dans le temps si le sentiment de confiance, le sentiment de justice et l’esprit de responsabilité (qu’il soit individuel ou collectif) sont bafoués ou ne sont pas respectés.
Nous affrontons, et c’est le cas dans la plupart de nos démocraties occidentales, une véritable crise de confiance ; crise de justice et crise de l’esprit de responsabilité. Consolider ou jeter les bases d’un nouveau pacte social est un travail qui s’impose d’urgence. Cela requiert, entre autres, de la cohérence, de l’honnêteté, une dose d’abnégation de la part des dirigeants qui doivent donner l’exemple surtout en temps de crise, et l’adoption d’un langage de vérité.
Cela nécessite que les gouvernants possèdent une boussole, une vision à long terme, sachent eux-mêmes où ils souhaitent conduire leur peuple. S’il est difficile pour des particuliers de cultiver l’optimisme et de placer leur confiance en l’absence de vision, il devient impossible aux entreprises de se projeter dans un contexte où les règles et les termes de l’accord changent en permanence et où le politique donne le sentiment, parfois, qu’il navigue à vue. La crise de l’endettement met en lumière une incroyable légèreté qui a conduit à une fuite en avant, qui a enchaîné les êtres par le biais de la prise en charge sans condition, au lieu de les émanciper en construisant et en consolidant l’esprit de responsabilité individuelle. Qui a envie d’être condamné à subir le sort des Danaïdes, verser des jarres pour remplir un tonneau sans fond ?
L’entreprise économique n’est pas un lieu périphérique situé hors de la Cité. Dans cette convulsion qui s’est emparée de nos démocraties, je crois pour ma part que le monde de l’entreprise doit d’urgence trouver le moyen de participer à retisser du lien social, permettre à notre cohésion sociale et nationale de continuer d’exister en attendant la renaissance du politique, politique au sens d’Hannah Arendt.
Je voudrais dire que ce qui me frappe le plus dans nos pays développés, c’est que le rêve semble absent de notre sphère publique. On n’y fait que tancer et dénigrer ce qui se passe dans nos pays, dans nos entreprises. Comment insuffler du courage, de l’espérance et de l’optimisme dans ces conditions ? Pourtant, lorsqu’on y regarde de plus près - je veux le dire parce que j’ai aussi une expérience de vie à l’étranger - nos pays occidentaux disposent de la plus importante des richesses qui soit, celle de la capacité de leurs citoyens à créer et à innover. C’est notre voie de salut. Cette capacité n’est pas tombée du ciel. Elle n’est pas le fruit d’un miracle. Elle est le fruit de l’histoire, et elle va de pair avec la liberté et l’esprit critique. C’est pourquoi l’éducation des jeunes générations doit bénéficier, à mon humble avis, de la plus grande de nos attentions.
Pour redonner confiance à nos peuples et leur donner la force de déplacer de nouveau des montagnes, il faut travailler à mettre en lumière nos avantages compétitifs, mais il faut également que les managers soient justes.
Juste, cela signifie que la répartition de la richesse doit associer le plus étroitement possible tous ceux qui participent à sa création : que ce soit en investissant leurs capitaux ou en investissant leur force de travail. Juste, cela signifie aussi – exemple concret – que les recrutements et les promotions au sein des entreprises ne doivent obéir qu’à une seule règle : celle de la compétence réelle, la seule qui confère la légitimité au sein d’un groupe. Pour vous donner un exemple concret, puisque je fais partie du Haut Conseil à l’Intégration, je souhaiterais dire que je considère pour ma part que la Charte de la diversité au sein des entreprises est contraire au sentiment de justice des Français et porte en elle les germes de la discorde. Les règles doivent être les mêmes pour tous pour assurer une cohésion.
Enfin, pour terminer, je souhaiterais vous inviter, pour approfondir le sujet, à relire, à la lumière de ce qui se produit aujourd’hui dans nos démocraties, les travaux d’Alexis de Tocqueville, et en particulier sa “démocratie en Amérique II”. Vous serez étonnés d’y découvrir les clés de compréhension de notre époque, et aussi le chemin de la raison et de l’efficacité.
Je suis convaincue pour ma part que la réponse à nos problèmes est en nous et nulle part ailleurs. Je crois le succès possible, mais une chose est sûre également à mes yeux, rien ne se fera sans les peuples occidentaux, et encore moins contre eux ; donc, au travail !
Je vous remercie de votre attention. »