La « mission Bentolila » sur l’école maternelle a rendu son rapport au Ministre de l’Éducation nationale Xavier Darcos. Ce rapport a le mérite de placer l’école maternelle au centre de la discussion sur la réussite scolaire. Enfin, on reconnaît que l’égalité des chances se prépare dès la maternelle. On comprendra donc peut-être un jour que le chèque de 730 millions d’euros alloué à Valérie Pécresse pour diviser par deux, à l’horizon 2012, le taux d’échec des 52% d’étudiants dont le trop faible niveau les empêche de réussir d’emblée l’épreuve de vérité que constitue la première année universitaire, n’a guère de chance d’atteindre son objectif. Le « Plan réussite en licence » de Valérie Pécresse prévoit que « la licence sera également rénovée avec l’instauration d’une première année fondamentale davantage pluridisciplinaire et recentrée sur les fondamentaux ». Ce qui signifie en bon français que la première année universitaire servira désormais à dispenser les fondamentaux qui auraient dû être acquis auparavant par les étudiants ! À ce stade, ce qui est entrepris là n’est plus une tentative de sauvetage, mais un tour de magie digne de la bonne marraine de Cendrillon, capable de changer une citrouille en carrosse et des souris en splendides chevaux… Je considère pour ma part que pour la réussite scolaire, l’égalité des chances se construit pas à pas depuis la maternelle jusqu’à la fin du CE2.
La mission Bentolila met en lumière l’importance, dans le cursus scolaire, du temps consacré aux comptines, ainsi que la nécessité d’un apprentissage basé sur des écrits de bonne qualité littéraire, et non pas sur des textes « fort médiocres » (je cite). Il est affligeant d’avoir mis si longtemps à prendre conscience de cette triste réalité. En vérité, seuls les enfants qui auront eu le privilège d’évoluer dans un milieu familial dont l’usage de la langue française n’est pas atrophié, disposeront d’une chance d’aborder les apprentissages de l’école primaire sur les deux jambes. Les autres trébucheront dès les premières semaines. Parmi eux, certains se relèveront, mais d’autres seront traînés de classe en classe en attendant l’âge légal de fin de la scolarité obligatoire…
Voici quelques extaits du rapport remis au Ministre de l’Éducation nationale : « Les temps consacrés aux comptines et aux chants doivent devenir des temps d’apprentissage où l’on privilégiera la qualité d’articulation, de mémorisation, d’explication du lexique, plutôt que la quantité de comptines marmonnées. […] Disons enfin que tous les textes ne se valent pas et qu’il en est de superbes et de fort médiocres. En la matière, la “modernité” n’est pas toujours une garantie ; certains textes et poésies classiques charmeront les oreilles et les esprits de jeunes enfants plus sûrement que certains albums de littérature jeunesse. En bref, l’école maternelle doit commencer à créer les fondements d’un patrimoine littéraire de qualité. Le nécessaire labeur qu’ils entreprendront au CP, sera ainsi éclairé par la claire conscience qu’il leur promet des découvertes magnifiques des images merveilleuses qui n’appartiendront qu’à eux mais qui devront tout au texte et à son auteur. »
Un très long passage est consacré aux « enfants venus d’ailleurs ». La mission évoque l’existence d’« un risque transculturel pour tout enfant de migrant ». Elle soulève également la question de la compatibilité culturelle entre l’école et la maison pour ces « enfants venus d’ailleurs » : « Il est temps que parents et enseignants s’accordent ensemble, au sein de chaque établissement, sur les termes d’une compatibilité culturelle entre l’école et la maison. » Comme la sociologue Nicole Mosconi[1], la mission affirme que « Le rapport au savoir des familles est lié à la représentation de l’enfant, de sa nature, de ses besoins, de ses compétences. Mais le rapport au savoir que l’enfant doit habiter pour pouvoir apprendre est celui de l’école française. »
Le rapport recommande alors, et c’est en effet très sage, de réduire le conflit lié au risque transculturel entre l’école et la maison : « […] pour penser la prévention du risque transculturel auquel est soumis tout enfant de migrants. Tout d’abord, diminuer le conflit entre l’école et la maison, les deux lieux d’appartenance de l’enfant. Il s’agit parfois de logiques qui se posent comme antinomiques et qui cherchent à s’exclure ou du moins qui entrent dans un rapport de force stérile. Pour permettre à l’enfant d’acquérir le savoir nécessaire, il ne s’agit pas de changer sa nature, de le rendre pareil à ses enseignants ou à des normes qui seraient celles de la société d’accueil. »
Malheureusement, la voie que préconise d’emprunter la mission Bentolila démontre qu’elle n’a pas encore bien saisi les véritables difficultés que rencontrent les enfants issus de l’immigration dans leurs parcours personnels, et qui entraînent l’exclusion du plus grand nombre d’entre eux d’une réelle « égalité des chances ». Ainsi, la mission recommande de « créer aussi des espaces de pensée de l’altérité à travers l’ouverture de l’école sur les réalités sociales et culturelles de la France, pays de métissages. Ceci peut se faire à travers le soutien d’activités parascolaires en relation avec les multiples origines culturelles des enfants de la seconde génération : ateliers de langues, d’écriture, de calligraphie, d’histoire… »
Savez-vous qu’en France, des formulaires de renseignements remis en début d’année aux élèves des écoles primaires demandent aux parents s’ils souhaitent que leur enfant reçoive un enseignement de sa langue et sa culture d’origine ? Quand prendra-t-on conscience du fait que le seul référentiel culturel qui est aujourd’hui, contrairement à naguère, transmis aux enfants issus de l’immigration par leurs propres familles, est celui de leur pays d’origine, et que pour aider ces enfants à s’insérer dans la société française, l’école a donc une toute autre mission à accomplir auprès d’eux que d’abonder dans le sens des familles ? Le plus souvent, pour toutes les raisons que j’ai abordées dans « Le puzzle de l’intégration », ces dernières n’ont elles-mêmes aucune possibilité d’accompagner leurs enfants sur ce chemin de leur insertion. Vous aurez remarqué que j’évoque ici l’insertion, et non pas l’intégration. Quand notre personnel politique réalisera-t-il que c’est bel et bien la carence de transmission de la culture du pays d’accueil qui creuse le tombeau des enfants issus de l’immigration, et de la France par voie de conséquence ?
Je terminerai en citant le sociologue Alex Mucchielli : « La notion de mentalité (système culturel) recoupe d’ailleurs entièrement le concept de culture intériorisée. Une mentalité c’est un ensemble d’acquis communs aux membres du groupe. Ces acquis, comme dans le cas de la culture intériorisée, servent de références permanentes et inconscientes pour la perception des choses, pour les évaluations faites et interviennent dans l’orientation des conduites. Une mentalité porte en elle une vision du monde et génère des attitudes (c’est-à-dire des manières d’être envers les choses) concernant les éléments de l’environnement. Ces éléments de l’environnement ne sont pas n’importe lesquels. Ce sont les éléments clés de la vision du monde : les référents essentiels de l’identité. Ces éléments importants par rapport auxquels le groupe a pris position sont les éléments dits nodaux, points d’ancrage de son identité. »[2]
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