Il est dans la nature humaine de copier sur ses voisins lorsque l’on ne dispose pas soi-même de l’imagination ou de la compétence suffisantes. Cette attitude, qui n’est au demeurant pas nécessairement dévalorisante en soi, se retrouve dans tous les domaines, et pas seulement dans le champ de la politique. En témoigne l’exemple de pays qui ont fait leur « place au soleil » en copiant les technologies très innovantes imaginées par d’autres qu’eux.
Lorsque l’on copie dans le domaine de la politique, plusieurs précautions élémentaires doivent être prises. Il faut tout d’abord s’assurer que la politique que l’on envisage de copier a véritablement produit de bons résultats, et non pas de mauvais. Je vous prie de m’excuser de rappeler une telle évidence. Il y faut donc une analyse, un tant soit peu sérieuse, des mesures déployées par la politique que l’on envisage de copier. Bien entendu, il est également essentiel de se préoccuper, au préalable, de la pertinence de la fenêtre d’observation du déploiement de cette politique : est-elle suffisante pour permettre d’en tirer quelque interprétation que ce soit ? Si cette fenêtre est limitée dans le temps, les niveaux de vigilance et d’exigence doivent être de ce fait considérablement accrus ; c’est presque une lapalissade, me direz-vous, et j’en conviens de bonne grâce. Ensuite, lorsqu’on s’est vraiment assuré que la politique qu’on veut copier a bien fonctionné, il ne faut pas pour autant se croire arrivé à « bon port », car vient alors le temps de réfléchir à la transposition de cette politique dans le pays destinataire. Nul ne peut, en effet, jamais garantir que ce qui a marché dans une société marchera dans une autre. Je n’apprendrai à personne que chaque société a sa propre Histoire, et donc son propre fonctionnement, et surtout son propre mode de réaction. C’est pourquoi il est essentiel de s’assurer notamment que rien, dans l’inconscient collectif, ne viendra altérer les chances de réussite de la greffe, ou pire, ne viendra créer des problèmes nouveaux, sans même résoudre ceux pour lesquels on avait tenté la greffe. Mais nous n’avons, nous Français, rien à craindre sur ce point, puisque statistiquement, nos dirigeants ont toujours été fins connaisseurs de l’Histoire de la France, de cette Histoire qui a nourri l’inconscient collectif du peuple français et a sculpté sa belle, fière et émouvante identité…
Sur un cas très concret, voyons à présent si le plus élémentaire des critères d’analyse a été respecté par nos dirigeants.
La police fédérale américaine vient de publier son rapport annuel. Elle a annoncé que la criminalité aux États-Unis connaissait, pour la deuxième année consécutive, une augmentation non négligeable. Cette criminalité intègre les homicides, viols, vols avec violence et agressions. L’augmentation des crimes et délits violents a été de 2,3% en 2005, et de 1,9% en 2006. Ce ne sont là que des moyennes, et dans certaines grandes agglomérations, les chiffres s’affolent jusqu’à connaître des accroissements de plus de 30%. La police fédérale américaine manifeste également son inquiétude face à la forte augmentation des crimes commis par des jeunes.
Alors, comment se fait-il qu’au pays de la « tolérance zéro », de l’éducation par le tout-répressif, au pays où le taux d’incarcération est 7 fois supérieur à celui de la France, on puisse enregistrer des résultats aussi inquiétants ? Ces politiques répressives ne seraient-elles donc pas si dissuasives, pas si préventives ? Interrogeons-nous donc, dans notre cher pays de la « liberté de pensée et de jugement », comme aimait à l’écrire Marc Bloch : la répression est-elle vraiment une méthode efficace pour soigner une société malade de la violence ? Devait-on importer dans notre pays ce qui n’a même pas fonctionné ailleurs ? N’allez surtout pas en déduire que je réclame l’impunité pour les délinquants ! Je réaffirme seulement aujourd’hui ce que j’exposais déjà dans Le puzzle de l’intégration, à savoir que la politique répressive américaine, que l’on a déjà commencé à déployer dans notre pays, est dangereuse, et qu’il existe bien d’autres voies. La France ne pourrait-elle faire appel à son esprit de finesse pour mener une réflexion plus approfondie au sujet de la violence dans notre société ; une réflexion qui conduirait à l’élaboration d’une politique plus efficace que la politique américaine ? Préservons, pour nos descendants, cet esprit de finesse qui fait également partie de l’identité française !