La Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration a ouvert ses portes mercredi 10 octobre. Aucune personnalité politique actuellement au pouvoir n’a manifestement souhaité participer à l’inauguration. Christine Albanel, Ministre de la Culture, s’est contentée d’y faire un saut mercredi en fin de journée, guidée dans sa visite par Jacques Toubon, qui préside la Cité avec Jean-François Roverato. Je souhaite relever au passage que le ministère de la Culture est maître d’ouvrage, et qu’il finance plus de 40% du budget total de la Cité jusqu’en 2009. Je me permets de souligner que Madame Albanel possède un curieux sens de la hiérarchie des événements à inaugurer, puisque c’est elle qui a, hier soir au Grand Palais, ouvert les portes de l’exposition consacrée au talentueux peintre Gustave Courbet.
Pourquoi cette polémique, et a-t-elle une raison d’être ? Elle nous montre à quel point la tentation d’établir des amalgames injustes, l’incapacité de s’extraire des évènements actuels pour regarder le passé de manière objective, l’infantilisation qui conduit à se laisser gouverner par les humeurs du moment, conduisent à la négation de pages de l’Histoire de France. Vouloir nier que l’immigration a pu jouer un rôle positif pour la France, cela procède de la même veine que vouloir nier que la France a pu jouer un rôle positif au cours de sa période coloniale, dans les territoires qui constituaient son empire colonial. J’ai trop longtemps vécu au Maghreb pour pouvoir souscrire à l’effacement de la reconnaissance de tout ce que les Français y ont apporté. L’injustice et l’ingratitude sont terribles de conséquences sur les enfants issus de l’immigration maghrébine et africaine.
Il est curieux de voir comment des personnes évoluant apparemment sur des positions qui se font face, et saisissant le moindre prétexte pour se défier, peuvent à ce point servir le même objectif (non conscient), qui est d’empêcher les Français d’assumer dans son intégralité l’Histoire de leur pays. L’Histoire de France n’a pas à être filtrée. Elle doit être regardée avec objectivité, et surtout elle doit être acceptée avec sérénité. Elle possède des pages d’ombre et des pages de lumière. Aucune nation, aucun peuple sur Terre, ne peut prétendre n’avoir dans son livre d’Histoire que des pages glorieuses. Accepter sa propre histoire, c’est s’accepter et c’est enfin retrouver un peu de la fierté d’être soi-même. Le peuple français doute terriblement de lui-même. Il est secoué d’une crise identitaire profonde qui n’est pas nouvelle, mais dont la durée devient à présent alarmante.
Les négationnistes de l’Histoire empêchent le peuple français de se réconcilier avec lui-même. C’est pourtant une condition essentielle pour qu’il trouve la force de relever les défis auxquels il est actuellement confronté dans une multitude de domaines. Sur le sujet de l’immigration-insertion-intégration, nous devons bien entendu éviter le piège qui consiste à tirer prétexte du passé pour ne pas traiter les difficultés auxquelles la France est actuellement confrontée. La lumière du passé ne doit pas aveugler le présent, ce qui conduirait à coup sûr à terriblement obscurcir l’avenir. Mais nous n’avons pas non plus le droit de tout amalgamer et de nier la participation à l’oeuvre de la Nation qui fut celle des immigrés venus d’Italie, de Pologne, d’Espagne, de Russie, d’Arménie, du Portugal, d’Algérie, du Maroc, de Tunisie, du Vietnam, de Chine, d’Afrique…
Je vous encourage à aller visiter la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration. Vous y trouverez des informations détaillées sur deux cents ans d’histoire de l’immigration en France. J’ai trouvé la Cité très bien conçue. Elle mériterait d’être enrichie d’un volet qui présenterait aux visiteurs l’autre face de la même pièce de l’immigration, à savoir ce que la France a apporté à ses immigrants.
Je voudrais partager avec vous la citation de Gérard Noiriel que vous trouverez sur un panneau au bas du majestueux escalier du bâtiment de la Cité : « Mon rêve serait que la Cité fonctionne à la manière d’une université populaire. Je déteste le misérabilisme, la victimisation, c’est une logique qui enferme au lieu d’ouvrir. Je ne veux pas que ce soit un endroit où après avoir célébré nos ancêtres les Gaulois, on célèbre nos ancêtres les immigrés, en recréant un “eux et nous.” »