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Entretien dans le Figaro avec Alexandre Devecchio

Cet entretien a été publié dans le Figaro papier du 29 juin. Vous pouvez également le retrouver sur le site du FigaroVox à cette adresse. N'hésitez pas à relayer autour de vous, svp, ainsi que sur les réseaux sociaux. Merci à tous.

Malika Sorel: «Au-delà de l’émotion légitime, les émeutes révèlent une décomposition identitaire»

Par Alexandre Devecchio

Publié le 29 juin 2023

ENTRETIEN - Après la mort de Nahel, 17 ans, à la suite d’un refus d’obtempérer, Nanterre s’est embrasée et les violences se sont étendues dans plusieurs villes. L’essayiste et ancien membre du Haut Conseil à l’intégration voit dans ces émeutes un nouveau symptôme de la fragmentation de la société française.

LE FIGARO. - Après la mort d’un adolescent à Nanterre à la suite d’un refus d’obtempérer, des émeutes se sont propagées dans toute la ville de Nanterre. Colère légitime ou véritable vendetta, que révèlent ces violences?

Malika SOREL. - Les propos tenus par le président de la République et le ministre de l’Intérieur sont les bons. Ils ont évoqué l’émotion de la famille avec empathie, rappelé que la justice était saisie, qu’une enquête était en cours, et insisté sur la nécessité d’un retour au calme. Une journaliste a recueilli sur le terrain deux types de propos: ceux qui évoquent une émotion somme toute naturelle et ceux qui parlent de vengeance. L’identité du policier ainsi que le nom de sa commune de résidence ont été diffusés sur internet, rappelant ce à quoi Samuel Paty a été confronté. Pour maintenir la paix civile, aucune forme de loi du Talion ou de vendetta ne doit être tolérée. Très vite, les émeutes se sont répandues à des communes limitrophes, mais également ailleurs sur le territoire. Ces événements, qui ne sont pas les premiers en la matière, nous montrent que la France est confrontée à un phénomène de décomposition identitaire sur son territoire. Cela devrait alarmer au plus haut sommet de l’État.

Dès Le Puzzle de l’intégration publié, après les émeutes de 2005, j’évoquais les raisons profondes qui conduisaient à la contestation de l’autorité des policiers et des enseignants et de ceux qui, d’une manière ou d’une autre, symbolisent l’État. J’y écris que, certes, cela tient au désir de certains de soustraire de l’autorité de la République des territoires qu’ils ont annexés pour y mener une vie paisible à l’ombre de l’économie parallèle, mais que cela témoigne aussi d’un rejet d’une société dont ils ne souhaitent pas respecter les lois ni les us et coutumes, car cette société n’est pas conforme à leur système de principes et de valeurs. L’erreur a été de considérer que ceux qui se dressent contre des représentants de l’État sont des électrons libres. Ils ne le sont pas. S’ils campent si fort sur leurs positions extrasociétales, c’est qu’ils pensent pouvoir bénéficier d’une forme de mansuétude de leur entourage. Une action sur les seuls auteurs d’actes de délinquance ou d’incivilités était donc vouée à l’échec.

Immédiatement après la mort de l’adolescent, les élus de La France insoumise, Mélenchon en tête, ont pointé du doigt la police dans sa globalité, allant jusqu’à évoquer une «exécution sommaire». Portent-ils une responsabilité dans les violences?

Je ne pense pas que les propos tenus par les élus LFI aient pu jouer un rôle dans le déclenchement des violences. Il n’en demeure pas moins que toute autorité politique ou morale, y compris les célébrités ou les footballeurs, qui viendrait à se substituer à la justice, alimenterait alors, sans nécessairement le vouloir, les troubles à l’ordre public, dont nul ne sait où ils peuvent nous mener. Dans des moments de drame tels que nous les vivons, chacun doit faire preuve de sagesse. De nombreux sondages montrent par ailleurs que les habitants de lieux soumis à l’insécurité réclament davantage de présence policière.
En 2005, la France découvre avec stupeur l’existence de jeunes capables de la haïr au point d’incendier des écoles, des équipements sportifs et culturels construits à leur intention

Plus largement, le discours de certaines associations et de certains politiques contribue-t-il à nourrir et à légitimer le ressentiment d’une partie des banlieues?

Tout ce qui concourt à diviser le corps social en dressant des catégories de personnes les unes contre les autres injecte haine et ressentiment des uns envers les autres. Ce qui me bouleverse, c’est de voir comment une part des populations qui ne possédaient rien ou si peu dans leurs pays d’origine en vient à détester la France à force d’entendre des discours qui l’accusent de tous les maux. Cette détestation envers la France n’existait pas en Algérie lorsque j’y vivais. Pour retisser les liens de cohésion, il est urgent de restaurer la méritocratie républicaine et de mettre fin aux politiques de diversité et de discrimination positive. Comme l’écrit le philosophe John Locke, tout ce qui peut se muer en signe d’identification doit être prohibé. De même, l’État doit cesser de piller les élites du Sud, car comme le dit le directeur de l’OFII, cette façon de faire nourrit l’argumentaire des islamistes pour faire encore plus détester la France et les Français…

Comment expliquez-vous que, depuis 2005, nous assistions constamment aux mêmes scènes. Les leçons de 2005 ont-elles été tirées? Les politiques publiques mises en place depuis ont-elles été pertinentes?

En 2005, la France découvre avec stupeur l’existence de jeunes capables de la haïr au point d’incendier des écoles, des équipements sportifs et culturels construits à leur intention ou à celle de leurs petits frères et sœurs. On assiste alors à la démonstration du fait que le problème de fond n’est pas d’ordre matériel. Pourtant, cette explication va perdurer alors même que part en fumée la justification de toute la politique de la ville conduite depuis le début des années 1980. Il est particulièrement cocasse que ces nouvelles émeutes se produisent au moment même où le président de la République se trouve à Marseille, y promettant quasiment les mêmes mesures qui ont échoué hier: «Il y aura ici du beau. Parce que je pense qu’une ville retrouve de l’unité, sa jeunesse sort de l’insécurité et on retrouve collectivement le goût de l’avenir lorsque l’on vit au milieu du beau.»

Faut-il craindre une contagion des violences au-delà de Nanterre, comme en 2005? La menace de «guerre civile», que certains observateurs évoquent, vous semble-t-elle correspondre à la réalité?

La société française est vulnérable, profondément déstabilisée, décomposée. Un rien peut la faire basculer dans le chaos. Un sursaut s’impose.

Malika Sorel est l’auteur de plusieurs ouvrages remarqués, dont «Décomposition française. Comment en est-on arrivé là?» (Fayard, 2015), qui a reçu le prix honneur et patrie de la Société des membres de la Légion d’honneur. Elle vient de publier «Les Dindons de la farce» (Albin Michel, février 2022, 224 p., 18,90 €). 

Catégories : Revue de presse

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