« Mettre les moyens en œuvre, c’est-à-dire discerner le but à atteindre grâce à eux, les orienter de façon à y parvenir, les conduire et les coordonner dans leur action, c’est le rôle des chefs. Rien ne peut les remplacer. Rien ne peut faire que les moyens s’orientent, se lient, se mettent en œuvre par eux-mêmes. Il n’y a pas d’exemple dans l’histoire des sociétés humaines qu’une entreprise de guerre ou de paix ait duré ou même existé “sans que des hommes fussent élevés au-dessus des autres pour la conduire”. Et l’humanité est si bien consciente du rôle joué par les chefs, elle connaît tellement la vanité de tous les efforts, l’inanité de tous les moyens s’ils ne sont pas commandés, qu’elle a inventé la Gloire pour payer ceux qui réussissent et qu’elle leur donne ainsi largement la plus belle récompense qui puisse être : vivre dans la mémoire des hommes !
Voilà pourquoi, messieurs, si l’on peut dire que la préparation à la guerre, but unique de l’activité de toute armée en temps de paix, est la préparation des moyens, on peut dire avec tout autant de justesse qu’elle est la préparation des chefs. Elle se heurte pour y parvenir à deux difficultés capitales dont il convient de dire un mot.
La première est de recruter, de discerner les chefs. Les entreprises de paix, les industries par exemple, n’ont point de difficulté à y parvenir, car elles sont, par la concurrence, en état de lutte perpétuelle et d’autre part la volonté des entrepreneurs ou des actionnaires de gagner le plus d’argent possible les pousse continuellement à rechercher le chef qui obtiendra les meilleurs résultats avec les moyens donnés. Mais l’armée du temps de paix travaille en quelque sorte à vide et, quand la paix se prolonge, les peuples sont très enclins à la croire éternelle parce qu’ils le désirent, ils n’apportent plus l’attention voulue à discerner et à appuyer parmi les chefs ceux qui sont le mieux doués pour commander. […] »
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Extrait d’une des conférences prononcées par Charles de Gaulle comme instructeur à l’École de guerre (1925-1927). Le texte intégral de ses conférences a été publié dans « Lettres, notes et carnets, 1919 - juin 1940 », Plon, 1980.