Merci au Figaro, qui m’a autorisée à reproduire mon article publié dans ses colonnes en date du 13/03/2010, dans sa rubrique « Débats et Opinions ».
Identité nationale : levons les tabous !
La France s’est construite en intégrant l’apport de ses migrants et de leurs descendants. Ces derniers ont contribué à faire vivre les principes fondamentaux du peuple français. Aujourd’hui, défiant tout bon sens, on voudrait persuader les Français que nul lien n’existerait entre identité française et immigration, alors même que le niveau des flux migratoires est sans précédent ? Qu’est-ce qui pousse alors notre classe politique à vouloir contourner nos principes fondamentaux si ce n’est la conviction, fausse au demeurant, que l’intégration des flux migratoires extra-européens ne pourra réussir sans le renoncement à des marqueurs essentiels de l’identité française ?
L’identité possède une vérité charnelle qui se décline au quotidien en une myriade d’attitudes, et surtout en un regard porté sur les autres et sur le monde. Les principes qu’un peuple érige en fondamentaux sculptent son identité. Ce sont eux qui lui confèrent sa singularité et en font le peuple qu’il est, et pas un autre. Ce sont autant de marqueurs que les parents transmettent à leurs enfants, au travers de la vie familiale, le plus souvent de manière tout à fait inconsciente. Ces marqueurs entrent systématiquement en jeu dans l’élaboration du projet collectif, celui qui dessine le modèle de société. Ils interviennent également lorsqu’il s’agit ensuite d’appliquer et de respecter ce projet. Aussi est-il légitime que les Français s’interrogent sur le contenu de leur identité, à un moment où chacun de ses éléments constitutifs est remis en cause. Quels principes et quelles valeurs pour bâtir le socle de notre société de demain ? Cette question n’est pas secondaire ; elle est majeure.
Est-il rationnel d’espérer faciliter l’intégration de descendants d’immigrés en envoyant dans le même temps, à l’opinion publique, une multitude de signes qui suggèrent que cette immigration, même à la troisième ou quatrième génération, ne serait pas intégrable à la communauté nationale ? C’est pour elle que l’ensemble de l’échiquier politique tente en effet, depuis de nombreuses années, de retourner la maison France de la cave au grenier : affaiblissement continu des programmes et des exigences scolaires ; tentatives d’élimination de l’excellence dans notre système éducatif ; assauts répétés contre le principe d’Égalité ; suppression des épreuves de culture générale dans les concours administratifs ; abandon des classes moyennes au profit quasi-exclusif des classes défavorisées…
C’est dans la difficulté d’articulation entre l’univers familial et celui de l’école que prennent racine la plupart des obstacles que rencontrent les enfants de l’immigration. Au lieu de s’employer à dégrader le contenu des savoirs et le niveau d’exigence en compétences comportementales, les pouvoirs publics serviraient l’intérêt général en aidant ces enfants à acquérir les éléments de culture française qui leur permettront de surmonter ces obstacles. En effet, lorsque ces derniers deviennent infranchissables, ils placent systématiquement l’enfant dans l’incapacité d’assumer son rôle d’élève, et le poussent même parfois à empêcher ceux qui l’entourent d’assumer le leur. C’est en maternelle-CP-CE1 que les moyens doivent être intensifiés, car c’est là que l’effet de levier est le plus important. Les graines de l’ouverture à d’autres possibles doivent être semées au plus tôt afin d’en maximiser les chances de germination. La transmission culturelle remplit deux missions : elle permet aux enfants d’intérioriser les principes de notre société en vue de réussir leur insertion, et elle leur permet également de se construire, jour après jour, des points d’accroche affectifs avec la France. C’est ce lien affectif qui les aidera à surmonter les douloureuses tensions identitaires dont ils seront inévitablement le siège, s’ils décident un jour de s’intégrer à la communauté française. Se préoccuper du sort de ces enfants à l’entrée au collège est voué à l’échec, car la grande majorité ne sera déjà plus réceptive au pacte proposé. Il faut être bien ignorant de la réalité de leur détresse, ou bien vouloir en tirer un profit personnel, pour véhiculer l’idée que la fabrication d’une élite originaire du Maghreb ou d’Afrique pourrait faire pousser à ces enfants les ailes de la réussite.
Mais qu’attend au juste notre société des migrants et de leurs descendants ? Qu’ils s’insèrent dans notre société en respectant les règles de vie et d’organisation, ou bien qu’ils s’intègrent à la communauté nationale en participant à faire valoir l’héritage que les Français ont reçu indivis ? Si la première option est décrétable, la seconde, qui se joue entièrement sur le registre affectif et moral, ne l’est pas et ne pourra jamais l’être. La France devrait le savoir, elle qui s’est longtemps hasardée à vouloir apporter la preuve du contraire en Algérie, avec les drames que l’on sait. Mais une chose est certaine : ce n’est ni en prônant le culte de la différence, ni en encourageant les individus à se rattacher à des communautés particulières, ni en présentant le peuple français comme un peuple qui rejette et discrimine, que l’on cultivera la volonté d’insertion, et encore moins le désir d’intégration. Notre société récolte désormais les fruits de la haine que ces approches ont semée dans le cœur des enfants de l’immigration.
Un certain nombre de conditions doivent être respectées pour qu’un ensemble d’individus puissent continuer de former un peuple capable de construire et porter un projet politique commun. Ernest Renan les avait recensées ; parmi elles : la fusion des populations ; le désir de vivre ensemble ; la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ; le partage d’un long passé d’efforts, de sacrifices et de dévouements ; le culte des ancêtres…, résumées en une phrase restée célèbre : « l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours ». Ce plébiscite, les enfants de l’immigration peuvent à leur tour y participer et se fondre dans la France de demain, une France réconciliée autour de ses valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité.